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Labocity
2 juillet 2007

Episode 11, par Birol - "Le colis"

Pupilles tremblantes.
Lèvres retroussées. Dents.
Contraction musculaire.
Max était tétanisé. Paralysé par ce qu’il voyait dans l’obscurité livide de la chambre.
Birol referma la porte et sans quitter des yeux l’enfant lâcha impassiblement :
« - Pia ! le gamin… »
L’enfant ne parvenait à détourner les yeux de la porte et tandis que Pia le traînait dans une autre pièce, il gémit faiblement, «Kami… kamii… kaa… miii…», hébété, sans bien comprendre ce qui se passait.
Silence total.
Bruits de fond.
Des pleures sourds, étouffés, provenaient d’à côté.
Regards qui se croisent. Regards qui s’évitent.
Ils attendent sans oser bouger.
Pas le moindre souffle se propage dans ce silence de tombe.

12h41.
Tension nauséeuse et corrosive.
Crampe à l’estomac.
Trois flashs rétiniens. Trois images succinctes.
Sang.
Kami.
Corps inerte.
Birol n’avait pas revu Kami depuis 6 mois maintenant et c’était sans compter sur la brusque hallucination de la matinée. Un retour inattendu qu’il ne savait encore comment considérer à présent.

6 mois… À cette époque, poussé par la révolte et le désespoir, Birol, comme n'importe quel membre du Labo 12 exaspéré par le sort qui était le leur, se considérait depuis longtemps comme un laissé pour compte de cette société dans laquelle il évoluait. Perdu, prêt à se nourrir de tous les interdits, à transgresser la morale, à marginaliser les moeurs.
Prêt à hurler à la face du monde ses maux.
Prêt à conditionner son mal.
Ce mal de vivre qui le rongeait. Lentement.
S’insinuant toujours plus profondément dans les entrailles de l’âme.
Que peut procurer une vie qui vous a déjà tout pris ?
Égaré dans les tourments de la souffrance.
Rôdeurs de dessous de villes.
Âpres rêveurs désillusionnés.
D’errance en errance, il avait échoué au labo 12. Et, y était resté.
« - …la vie vous semble moins malaisée lorsqu’elle est partagée avec le reste d’une bande de paumés…» s’amusait cyniquement à dire Birol.
Le labo 12, comme beaucoup de lieux-symboles d ‘une ère industrielle, marchande et militaire, se vidait de sa raison d’être et tombait en déshérence, la mémoire en suspens.
Friche industrielle. Chancre urbain. Espace silencieux.
Une terminologie de l’absence qui désigne généralement le passage brutal d’une époque à l’autre. Le labo 12, théâtre dévasté, aux façades défigurées, lieu écorché, ouvrait des perspectives d’occupation imprévues. Grand champ des possibilités, jachère de partage et d’échange artistique, émotionnel et intellectuel. Zone de transition.   
Pour beaucoup, le labo 12 apparut comme une évidence. Pour Birol aussi.
Confessionnal. Huis clos expiateur et rédempteur. Le labo 12 était devenu une raison, un salut. Pour combien de temps seulement car dans l’ombre le mal agit, sournois il guette, multipliant ces traits et dépêchant son missionnaire.

6 mois… que Birol n’avait pas revu Kami. Il l’avait aperçue rapidement quittant un matin le labo 12.
Ce matin là, comme d’ordinaire en fin de mois, les placards de la cuisine étaient désespérément vides. Et, tandis qu’il cherchait de quoi se faire un bon café turc, il sentit une autre présence dans la pièce.
L’homme se tenait devant lui.
Costume sombre. Couleur réglisse.
Ni tout à fait vert ni tout à fait noir.
Birol eu un étrange sentiment. L’impression que cet homme n’existait pas ou pas tout à fait.
Sans dire mot, l’inconnu le salua et sortit.
Birol resta un instant sans bouger, ni penser.
Puis se ressaisit attiré par le ronronnement insidieux de Salopard.
« - Te voilà toi ! T’as faim ? Qui c’est ce gusse… ? T’en sais rien… attends… voilà… régale toi… le pâté pour chat au p’tit déj’… j’suis pas fan… tu m’excuses mais je vais prendre mon café ailleurs… »
6 mois… qu’il n’avait pas revu Kami.

12h44.
Retour au présent.
Silence total.
Les bruits de fond ont cessé.
Regards qui se croisent. Regards qui s’évitent.
Ils attendent sans oser bouger.
Pas le moindre souffle dans ce profond silence.
Birol ouvrit alors la bouche pour rompre le silence, pesant et latent, mais Arthus le devança :
« - Neque porro quisquam est qui dolorem ipsum quia dolor sit amet, consectetur, adipisci velit Birol...*
- Arrête ton baratin de prêcheur… pourquoi est-elle là ? rétorqua Birol agacé. 
- Kami fait parti du plan, Birol. Les cinq branches doivent être réunies sinon c’est toute notre organisation qui est compromise et tu le sais… comme Pia le sait… tout comme Kami le sait aussi ! Pia acquiesça d’un signe de la tête les dires d’Arthus. 
- Et Tom… il le sait lui aussi ? objecta incisivement Birol. Arthus le transperça du regard. Birol eu l’impression qu’une lame saillante venait de le dépecer à vif.
- Nous avons choisi de l’éloigner pour un temps !
- De l’enterrer pour longtemps, tu veux dire…
- Peu importe la sémantique, il gênait la communauté !
- Raison valable de lui offrir un voyage sans retour ?!
- Il ne contrariera plus l’organisation…
- Pour sûr. Dans un sac plastique au fond d’un trou je vois mal comment il pourrait faire ! »

Silence.
Veines apparentes. Nerfs à vif.
Mains tremblantes. Haine.
Tension.
Pia s’interposa :
« - Arrêtez ça tout de suite ! Je ne veux rien savoir de plus. Et, Birol, je t’en supplie tais-toi… putain, tais-toi… Tu vois pas que tu nous rends tous dingues !!! »
Puis emportée, elle ramassa à deux mains le sac de nylon et le déposa au centre de la table. S’absenta un instant, revint avec une clef, ouvrit grand le sac et recula de quelques pas. Alors Arthus s’avança doucement et plongea ses mains à l’intérieur.

Sur la table était déposés comme pour en faire l’inventaire :
1 carte de visite.
5 grandes enveloppes cachetées de couleurs différentes.
3 planches de calque annotées. Les plans d’un bâtiment.
7 pains gris. Des pains de C4.
7 détonateurs. Des câbles.
5 combinaisons de peintre en bâtiment.
Un flyers sur la 203 U de 1960’s.
Un trousseau de clef.
5 masques d’éléphant.

Arthus lut à haute voix le contenu de la carte :

«Labo 12. Exp 4 : Slonovki bal**.
Objectif : Rendre l’Art à l’Art.
Ce soir aura lieu à l’Hysteria Gallery le vernissage d’une gigantesque exposition regroupant pour la première fois au monde les plus beaux chefs d’œuvres de l’Humanité. Une occasion unique pour exécuter la plus innommable composition jamais pensée à ce jour. Une œuvre marginale, intemporelle et brutale dont vous serez les pinceaux de la création. Chaque membre de l’organisation trouvera à son nom une grande enveloppe fixant ses objectifs.
»

Au dos de la carte un symbole.
Une main. Cinq doigts.
En son centre une étoile à cinq branches.

* Ndt : « Il n'existe personne qui aime la souffrance pour elle-même, ni qui la recherche ni qui la veuille pour ce qu'elle est...»
** « Le bal des éléphants » en serbe.

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Commentaires
K
Birol, l'homme qui parlait latin comme un moine érudit...
B
Impatient de lire l'épisode Hors-Série de labocity...<br /> Danke Klb !!!
K
C'est vrai, vos 2 textes fonctionnent très bien ensemble... Bientôt la démonstration avec la mise en ligne du premier épisode Hors-Série de labocity...<br /> <br /> Mais au fait, "qui est (vraiment) ce gusse??"
K
Brillant.<br /> ça avance, le décor est détaillé, la classe.<br /> Je suis juste un peu surpris des similitudes entre ce texte et mon épisode hors série, alors qu'on ne s'est lu ni l'un ni l'autre !<br /> Balèze.
Labocity
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