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Labocity
3 juillet 2007

Episode Hors-Série 1, par Sam - "Surface"

L’homme mit à flots son embarcation dans les tumultueuses eaux aux vapeurs alcoolisées de son verre de Sin-Delam.
Il s'affala lentement sur lui-même pour finalement poser son menton sur ses mains jointes, observant son oeuvre.
Sam jeta un coup d'oeil à l'horloge pendant au mur, au dessus de la porte des toilettes : 23H48.
Cela devait bien faire une demi-heure qu'il observait l'inconnu assis à cette table de l'autre côté du bar. L'homme était entré dans la Cave de l'Univers 47-75 avec une mine effondrée. Une sorte de spectre comme seule cette société en pleine dérive pouvait en créer. Après avoir salué Théo d'un geste las, il s'était dirigé sans détour vers cette petite table chromée, sans doute le dernier refuge hors de sa vie pesante.
Eclairé par une minuscule lanterne déviée sur le mur de briques sombres, l'homme avait alors sorti une petite feuille de papier de la poche intérieure de son imperméable, puis pliant et tournant, avait entamé la construction du navire. Théo, le videur aux doigts agiles, s'était approché de Sam en gardant un oeil sur la porte d'entrée (toujours un oeil sur la porte, Théo), et lui avait murmuré de sa voix veloutée "lui c'est ¼ de Sin-Delam dans un verre de Pearl Frost 50". Depuis trois semaines que Sam servait derrière le bar de la Cave, Théo avait pris l'habitude de l'aiguiller sur les goûts et les couleurs des réguliers. Sam avait acquiescé avec un sourire puis avait servi l'homme en pleine construction navale.
A 23h51 une première fissure apparut sur la coque en papier, allumant l'oeil du client, puis une réaction chimique dont il devait être le seul à ne pas s'étonner désagrégea entièrement le bateau, créant un fin dépôt brun à la surface de l'alcool.
Une minute plus tard le verre était vide, et l'homme titubant regagnait la sortie la joie peinte sur le visage.

C'était le genre de scènes qui amusait Sam, tout en lui laissant un pincement au coeur. Voir à quel point le Laborat et ses sections pouvaient réduire les espoirs et assécher la vie des habitants de cette ville, mais aussi comme peu de choses suffisaient à les ranimer... même le temps d'une illusion.

Pendant que Sam se laissait aller à libre-penser tout en essuyant des verres, un autre homme passa la porte. Pas un habitué celui-là. Théo de retour à son poste le détailla une moue sur les lèvres, fit un léger signe d'acquiescement, puis reporta son regard vers la rue et ses trombes de pluie noire.
Le nouveau venu s'approcha du bar. Sam l'apercevant ralentit le mouvement du torchon sur le verre, un malaise jaillissant du fin fond de ses souvenirs.

-Le bonsoir ducomptoir... , lâcha l'homme en forçant le ton.
Ah, c'est de l'humour, ris... ris !, pensa Sam.
Un léger sourire passa sur son visage.
-Sam c'est bien ça ?
Un millier d'explications pour qu'il connaisse ton nom.
-Yep monsieur, qu'est-ce que ce sera ?
-Un Sober-Fizz à la louche.
-Bien.
-Et une question.
Eh merde.
L'inconnu à l'humour de compétition se roula une cigarette, l'alluma, puis lança un regard circulaire à travers le bar, s'assurant que personne d'autre que Sam ne pourrait l'entendre.
-Arthus, lui lança l'homme avec un sourire froid, la main tendue en quête de contact.
-Ca fera 15 Sols, répondit Sam en posant son verre devant Arthus dont il ignora la main.
-Ok, heureusement que c'est pas pour l'amabilité que je viens te voir.
Ah on se tutoie donc.
-Bon, je ne vais pas y aller par quatre chemins, j'ai pas mal d'affaires à régler ce soir.
Les 2 mains posées à bout de bras sur le zinc, le torchon sur l'épaule, Sam attendit que l'autre déballe.
-J'ai entendu parler de toi. Comme tu es nouveau ici, je me suis permis de venir à ta rencontre. Je mets en place une opération. Disons plutôt une expérience. Les types talentueux sont durs à dénicher. Et si la moitié de ce que j'ai entendu est vraie, on aurait sacrément besoin d'un gars de ton calibre. Alors, est-ce que tu veux te rendre utile ?
Nous y voilà.
Sam croisa les bras, et baissa la tête, songeur.
Quelque chose dans le regard d'Arthus lui rappelait sa jeunesse. La façon d'écraser ce mégot comme si tout se jouait entre eux deux. Laisser s'échapper le moins de fumée possible : Le culte de la discrétion.
-Les projets de groupe c'est plus vraiment ma tasse de thé, Arthus. Et plus de mon âge. Pas d'offense.
Un ange passa en titubant.
-Pas d'offense, dit l'autre avec un regard froid. Mais réfléchis bien Sam. Pendant que tu joues les Isaac derrière ton bar, la ville étouffe. Nous voulons juste tenter de changer les choses. Que ce soit demain ou dans un an, notre voix se fera entendre.
Il s'éloigna du comptoir, puis à mi-chemin de la sortie, lança en se retournant :
-Note bien que je n'ai pas eu beaucoup de mal à te trouver et à savoir qui tu étais. Tu devrais prendre garde si tu veux éviter les rencontres désagréables.
La nuit se referma sur Arthus, et Sam soupira tandis que cette sensation désagréable le quittait progressivement.
Mon pauvre Arthus, je prenais déjà "garde" à l'époque où tu n'étais qu'un espoir dans les couilles de ton père.

Seul dans la nuit, Sam se laissa glisser le long du filin. Ca va, encore suffisamment de forces dans ces bras, pensa t-il.
Allongé sur un vieux toit de tuiles, éclairé par la seule Lune et ses étoiles; il regarda la fenêtre par laquelle il était sorti du bâtiment une quinzaine de minutes plus tôt. Il jeta un coup d'oeil à sa montre : 3h41. Pas un chat dans les parages.
Alors que le son déchirant n'avait pas encore atteint ses oreilles, Sam aperçut la respiration précédant le souffle. Ce moment infime lors duquel les murs de l'étage semblèrent se dilater vers un coeur prêt à hurler sa puissance.
Puis dans un nuage de poussière et de papiers, de particules de béton et de verre, la structure officielle s'ouvrit en deux, projetant dans la nuit un feu d'artifice apocalyptique.

Un morceau de papier atterrit près de sa main; profitant du court répit que lui offrait le vent pour s'enflammer de plus belle. A peine Sam eut-il le temps d'y apercevoir l'emblème du Laborat, tamponné à côté de la signature de Gibbéon Langre, secrétaire scientifique à la propagande.
Un sourire se forma sur son visage.
"Et un de moins", murmura-t-il.

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Commentaires
K
Un grand merci m'sieurs dames !<br /> Dis donc Birol, "1984", "Brazil", c'est de la grande référence là !
B
Le monde de labocity s’étoffe d’avantage… et pas qu’un peu… à mi-chemin entre le "1984" de George Orwell et "Brazil" de Terry Gilliam… quoi de plus captivant !!!<br /> Chapeau bas !
K
Moi j'aime particulièrement le passage de la description de l'explosion... Mais tout est très stylé et en même temps plein de poésie... On sent l'expérience de l'écriture! Bravo Sam. Arthus aurait dû insister plus longtemps pour t'avoir à nos côtés! Mais ce n'est peut-être que partie remise?
J
très classe, belle maitrise<br /> clap clap clap
Labocity
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